Le corps dabord !
Éric Greff
Introduction
L'objet de ce travail est de comparer des activités, menées avec des élèves de Grande Section de lEcole Maternelle, centrées autour de lutilisation dun véritable robot de plancher, dune part, et de la représentation de ce robot sur ordinateur, dautre part.Ce compte-rendu est le fruit dun travail déquipe réunissant enseignant de lIUFM et institutrices de lEcole Maternelle.
De nouveaux outils, un nouveau questionnement
Le robot " Roamer " de la société anglaise " Valiant Technology " a retenu notre attention parce quil présente en lirremplaçable intérêt de pouvoir être associé à un logiciel informatique (à lergonomie entièrement graphique) pour lequel le clavier de commande est identique à celui du robot.
Dans la suite de lexposé nous décrivons, dabord, le matériel à notre disposition. Nous exposerons ensuite la méthodologie de recherche et les exercices proposés aux enfants. Après en avoir effectué une synthèse et fait ressortir les particularités de chaque environnement, nous exposerons nos conclusions sur la part du réel et du virtuel dans ces apprentissages et ouvrirons des perspectivesconcernant lutilisation denvironnements adaptés à des objectifs didactiques particuliers.
La question que nous nous posons est la suivante :
" Quel environnement, de lordinateur ou du robot de
plancher, est le plus favorable à la réussite dactivités concernant la
construction du nombre, lestimation de grandeur ou le repérage dans le plan ?
"
Présentation du matériel pédagogique
La robotique pédagogique constitue un vaste domaine de recherche. Pour notre part, nous nous attacherons principalement à la composante " robot de plancher " et plus particulièrement aux robots conçus pour initier l'apprenant à la démarche algorithmique. Parmi ces machines, la tortue de sol de Seymour Papert a fait figure de pionnière. Les buts de son expérience initiale sont clairs : " en apprenant à la tortue à agir ou à " penser ", on en arrive à réfléchir sur sa propre action et sa propre pensée "
De nombreuses expériences relatives à lutilisation de robots de plancher avec les très jeunes enfants ont été relatées durant les années 80. Il ne sagit pas ici de reprendre de telles expériences mais, dexaminer la question du rapport entre réel et virtuel.
Le robot " Roamer " fabriqué, depuis 1988 par la société Valiant Technology de Londres nous a semblé présenter des similitudes intéressantes avec notre travail et de réels atouts pédagogiques.
Ce robot a lapparence dune sphère aplatie. Sur sa face supérieure, il possède un clavier souple dont les touches correspondent à des instructions. Celles-ci permettent la programmation du robot qui pourra ainsi se déplacer, pivoter, attendre et également mémoriser des procédures.
Parallèlement à la construction du robot de plancher, la société Valiant a développé un logiciel informatique dans lequel le robot de plancher Roamer est " virtualisé ". Ce logiciel a la particularité dêtre un logiciel graphique, entièrement manipulable à la souris pouvant être utilisé sans savoir lire, donc par de très jeunes enfants (4/5 ans). Il présente à lécran un clavier " virtuel " identique à celui du robot Roamer décrit précédemment. Le robot est lui-même représenté comme une image vue du dessus.
Méthodologie de recherche
Nous avons travaillé avec deux classes expérimentales de Grande Section de lEcole Maternelle Jean Guillon à Boulogne-Billancourt. Nous avons scindé chacune de ces 2 classes en 2 groupes de 9 élèves. Dans 2 groupes, les élèves utilisent le robot Roamer sans avoir accès à lordinateur ; dans les 2 autres groupes, les enfants se servent du logiciel Roamer World sans manipuler le robot.
Après une séance de prise en main du matériel utilisé, nous avons soumis aux groupes les mêmes séries dexercice, ce que permet la similitude denvironnement entre Roamer et Roamer World.
Ces exercices portent sur :
- La construction de lespace (imaginer, suivre un cheminement) ;
- La construction du nombre (à partir dune bande numérique, se rendre successivement sur des nombres donnés) ;
- Lestimation de longueur (lunité de longueur davancement du robot étant définie, estimer la distance qui le sépare dune cible) ;
- Le repérage sur quadrillage (anticiper un trajet sur quadrillage afin datteindre un but fixé).
Nous souhaitons observer la réussite (et la stratégie) de lélève, par rapport à un même problème, posé, en fonction de loutil pédagogique utilisé (robot de sol ou ordinateur).
Analyse des résultats obtenus
Rappelons que le but de cette expérience nétait pas de mesurer la réussite des élèves à tel ou tel item en fonction dune formation particulière mais de mesurer les éventuelles différences de raisonnement et de réussite entre utilisateurs du robot et du logiciel à partir dune même formation minimale. Cette première expérimentation nous a, de surcroît, permis de constater que cette formation minimale au maniement du mobile était insuffisante pour aborder des problèmes plus complexes de parcours sur quadrillage.
Lanalyse de ces quelques séances a révélé essentiellement trois résultats importants :
1°) Tout dabord, la connaissance des instructions de bases dutilisation du mobile, si elles sont immédiatement mémorisées, ne permettent pas daccéder avec succès à des activités de déplacement sur quadrillage. A ce propos, notre expérience de plusieurs années concernant le " jeu de lenfant-robot " dans lequel cest le jeune enfant qui " joue le rôle " du robot nous a permis dobserver que lorsque les instructions de déplacements élémentaires sont enseignées à lenfant, celui-ci les utilise sans difficulté pour effectuer des parcours sur quadrillage. Dans le cas du jeu de lenfant-robot, lélève met plus de temps pour apprendre les mouvements fondamentaux (avance, recule, pivote à droite, à gauche) puisquil doit les exécuter lui-même parfaitement en commençant et finissant " pieds joints ", en effectuant des " quarts de tours " difficiles pour lui, en " reculant dun pas " avec une assurance qui nest pas innée. Cependant, cet apprentissage " intégré par le corps " lui permet presque aussitôt deffectuer avec succès des parcours sur quadrillage. Lutilisation du robot de plancher, dune part, et du logiciel, dautre part, permet un apprentissage rapide des commandes de bases mais elle est trop superficielle pour aborder des problèmes mettant en uvre ces commandes dans des activités de parcours.
2°) Les activités autour du pivotement sont mieux réussies par les enfants utilisant le véritable robot que ceux travaillant avec son image virtuelle. Indirectement, là encore, le travail du corps constitue une composante essentielle de ce résultat. En effet, cest la capacité à se déplacer et à se mettre " dans le même sens " que le robot de plancher qui favorise la réussite par rapport à un robot virtuel vertical auquel on ne peut pas physiquement sidentifier.
3°) Les activités concernant lestimation de longueur sont, là encore, favorisées par lutilisation du corps... Paradoxalement, le fait que lenfant puisse " compter " en appuyant son doigt sur lécran (afin destimer le nombre de pas de robot virtuel à exécuter) entraîne une meilleur réussite à cette activité pour les enfants utilisant " robot décran ". En revanche, pour ceux utilisant le robot de sol, la longueur à parcourir est trop grande, trop éloignée de leur réalité palpable et devient donc... virtuelle alors que lécran, à la portée de leur doigt, peut être touché, la distance à parcourir appréhendée et donc... réelle. Cette inversion du réel et du virtuel nous semble tout à fait significative du fait que la réussite aux activités que nous avons proposées est liée à ladéquation entre le corps et le support utilisé. A ce titre, lutilisation de la bande numérique est très révélatrice dans la mesure où elle constitue un espace continu dans lequel lenfant utilisant le robot de sol peut " saventurer " physiquement pour compter les cases (comme il le fait, sur lécran, avec son doigt). Les résultats à cet item sont alors comparables pour les deux supports.
La cible, quant à elle, éloignée du point de départ du robot, est un élément dun espace discontinu dans lequel lenfant nose pas, physiquement, " se lancer " pour aller compter le nombre de pas de robot à effectuer. Cest, très probablement, cette raison qui nuit à la réussite des élèves utilisant le robot de plancher pour cet exercice.
Il nous apparaît donc que la part du réel et du virtuel nest pas directement liée au média utilisé mais doit se mesurer en fonction de lécart de ce média à la réalité physique de lapprenant. Serait donc virtuel, pour lenfant de 5 ans, ce qui est éloigné de sa réalité physique et pas forcément limage de lobjet sur un écran par rapport à lobjet réel. On prendra donc soin de réserver à chaque activité le media qui lui est le mieux approprié. Pour nous y aider, on fera également une analyse, a priori, de la distance séparant lexercice à effectuer de la réalité physique de lenfant afin de mesurer sa virtualité.